Vers une cartographie régionale de l’état hydrique de la vigne basée sur des observations collaboratives

¹ITAP, Institut Agro Montpellier, INRAE, Univ. of Montpellier, Montpellier, France
*corresponding author: leo.pichon@supagro.fr

Article déjà publié dans la revue IVES Technical Reviews *

Abstract

Le suivi de l’état hydrique de la vigne à l’échelle régionale est un enjeu majeur (Willwerth and Reynolds, 2020). Cependant, il existe peu d’outils disponibles à cette échelle (Rienth and Scholasch, 2019). La collecte collaborative d’observations est une alternative intéressante mais nécessite une quantité et une qualité de données collectées suffisantes (Rechenberger et al., 2015). Le projet ApeX-Vigne démontre que cette approche est pertinente pour cartographier l’état hydrique de la vigne à l’échelle régionale.

Une méthode simple d’estimation de l’état hydrique de la vigne

L’application ApeX-Vigne est une application mobile qui permet réaliser un diagnostic rapide de l’état hydrique d’une parcelle viticole en utilisant la méthode des apex. Cette méthode est basée sur le fait qu’en cas de contrainte hydrique, la croissance végétative de la vigne ralentit puis s’arrête lorsque cette contrainte devient plus forte. Le niveau de croissance des apex (extrémités des rameaux) est donc un indicateur du niveau de contrainte hydrique. La méthode des apex consiste à caractériser la croissance végétative d’une parcelle de vigne en observant 50 rameaux. Chaque apex est classé dans l’une des trois catégories de croissance végétative : pleine croissance, croissance ralentie ou arrêt de croissance (Figure 1).

La méthode permet ensuite de calculer un indice simple, iC-Apex, qui peut être relié à l’état hydrique de la vigne. Cette méthode est présentée en détail dans Pichon et al. (2020)¹. Il est à noter que la méthode des apex est pertinente pour la caractérisation de contraintes hydriques modérées à fortes correspondant à des potentiels hydriques foliaires de base compris entre -0.2 MPa et -0.8MPa. Pour des contraintes hydriques allant au-delà de -0.8 MPa, l’ensemble des apex sont en arrêt de croissance. La méthode ne permet alors pas de distinguer une contrainte hydrique forte (favorable à la production de vins de qualité) d’une contrainte hydrique très forte (pouvant par exemple entrainer la chute des feuilles). Dans le cas de vignobles non irrigués, cette méthode est souvent utilisée pour caractériser la date d’apparition et la vitesse d’installation de la contrainte hydrique. Dans le cas de vignobles irrigués, elle est principalement utilisée pour définir la date de première irrigation.

Une architecture technique permettant la collecte collaborative d’observations

L’application ApeX-Vigne a été développée par l’Institut Français de la Vigne et du Vin et l’Institut Agro Montpellier. Elle est disponible gratuitement en français sur iOS (https://apps.apple.com/gb/app/apex-vigne/id1612236678) et Androïd (https://play.google.com/store/apps/details?id=ag.GB.apex). En 2023, elle sera disponible en anglais sur les mêmes plateformes. Elle est utilisée par les professionnels de la filière viticole (viticulteurs, vignerons, salariés viticoles, conseillers, etc.) qui y voient un outil permettant de faciliter la mise en œuvre de la méthode des apex à la parcelle. Leur motivation à utiliser l’application est avant tout « égoïste »², car elle répond à leur propre enjeu de diagnostic rapide d’une parcelle. L’architecture technique du projet ApeX-Vigne (Figure 2) permet de mettre en commun ces observations géolocalisées en les centralisant dans une base de données. Des cartes collaboratives peuvent alors être produites à différentes échelles spatiales (appellation, département, région, etc.). Il est à noter que ces cartes sont particulièrement pertinentes dans le cas de vignes non irriguées pour lesquelles la contrainte hydrique est principalement structurée par la variabilité de la réserve utile des sols et pas par la quantité d’eau apportée.

Une participation importante des professionnels de la filière viticole

Depuis son lancement officiel en 2019, l’application ApeX-Vigne a été utilisée principalement dans les vignobles du sud de la France pour lesquels l’enjeu de suivi de l’état hydrique de la vigne est le plus fort. Elle a également été utilisée dans la plupart des vignobles français (Bordeaux, Champagne, Bourgogne, Pays de la Loire, etc.) mais avec un nombre d’observations collectées plus faible. Dans le sud de la France (Languedoc, Roussillon, Côtes du Rhône, Provence) (Figure 3a), 1849, 2072, 1294 et 3898 observations ont été collectées respectivement en 2019, 2020, 2021 et 2022. Les conditions climatiques particulièrement sèches du millésime 2022 expliquent certainement le nombre important d’observations collectées cette année-là. Ces observations ont été localisées sur l’ensemble des vignobles du Sud de la France avec des densités d’observations plus fortes localement, comme c’est le cas par exemple dans le sud de la vallée du Rhône (Figure 3b).

La densité spatiale des observations collectées a été particulièrement forte lorsque les acteurs du territoire (Instituts techniques, groupements d’agriculteurs, etc.) se sont impliqués. Dans certains cas ils ont animé des dynamiques collectives de viticulteurs s’appuyant sur l’application ApeX-Vigne. Dans d’autres cas, ils ont invité leurs conseillers à collecter les observations dans le cadre de leur suivi hebdomadaire du vignoble. Ces résultats semblent montrer que la participation à un projet collectif est également une motivation pour contribuer au projet ApeX-Vigne qui vient renforcer la motivation égoïste des participants.

Une cartographie régionale de l’état hydrique de la vigne

Cette répartition spatiale relativement dense des observations collectées permet d’envisager de produire une carte interpolée de l’iC-Apex pour une date donnée à l’échelle des vignobles du sud de la France. Par exemple, au cours de la semaine du 13 au 19 juillet 2020, 250 observations ont été collectées. L’étude des valeurs d’iC-Apex montre que ces dernières ne sont pas aléatoirement réparties mais clairement organisées dans l’espace. La carte interpolée (Figure 4) met en évidence les zones ayant des valeurs d’iC-Apex plus faibles correspondant aux zones de contrainte hydrique plus forte. Par exemple, toujours entre le 13 juillet et le 19 juillet, la zone centrale présente des valeurs d’iC-Apex globalement inférieures à 0.4, tandis que la zone Sud-Ouest présente des valeurs d’iC-Apex plus fortes, dans certains cas supérieures à 0.6. La carte met donc en évidence un gradient de contrainte hydrique entre ces zones.

Ces résultats montrent que la quantité et la qualité de données collectées de façon collaborative sont suffisantes pour produire une carte de l’iC-Apex et décrire l’état hydrique de la vigne à l’échelle d’une grande région viticole. La cartographie de l’iC-Apex pour une région plus petite (ex : une zone d’appellation) avec une résolution spatiale plus forte peut également être envisagée dans certains cas, mais cela nécessite une forte densité spatiale d’observations. Cette forte densité spatiale ne peut être obtenue que si les acteurs du territoire (ex : syndicat d’appellation) se mobilisent pour favoriser la participation des viticulteurs, des vignerons et des conseillers.

1. Pichon, L., Brunel, G., Payan, J.-C., Tisseyre, B. (2020). Apex-Vigne: A mobile application to facilitate the monitoring of growth and estimate the water status of the viticulture plots. IVES Technical Reviews Vine and Wine. https://doi.org/10.20870/IVES-TR.2020.3558 ↩︎
2. Batson, C. D., Ahmad, N., & Tsang, J. A. (2002). Four motives for community involvement. Journal of Social Issues, 58(3), 429–445. https://doi.org/10.1111/1540-4560.00269 ↩︎

* La Revue Française d’Œnologie a noué un partenariat avec IVES : l’International Viticulture and Enology Society. IVES publie le journal technique : IVES Technical Reviews (disponible en 6 langues), ainsi que le journal scientifique Œno One IVES et IVES Conference Series, un portail dédié aux communications issues des congrès scientifiques de la filière vitivinicole.