Article précédemment publié dans la revue IVES Technical Reviews *
Abstract
Garantir la qualité du vin est essentiel. Cependant, l’augmentation des dépôts de quercétine dans les vins rouges, en particulier ceux issus du cépage sangiovese, s’intensifie en raison de facteurs tels que les vendanges à la machine et le changement climatique (Price et al., 1995; Blancquaert et al., 2019; Gambuti et al., 2020; Vendramin et al., 2022). Ce problème va au-delà des simples désagréments visuels liés à la mise en bouteilles du vin et suscite des inquiétudes quant à l’altération potentielle des propriétés organoleptiques. Les méthodes actuelles, telles que le collage à la PVPP, sont interdites dans la production de vin biologique en vertu du règlement de l’UE n° 203/2012. Pour résoudre ce problème, la présente étude a exploré une solution compatible avec l’agriculture biologique qui implique l’utilisation d’une enzyme pectolytique dotée d’une activité glycosidase secondaire. L’enzyme a été validée dans la production de vin Chianti et il a été observé qu’elle accélérait considérablement l’hydrolyse des quercétines glycosylées, en donnant leur forme aglycone. Ce processus accéléré a permis d’améliorer la précipitation en amont de la mise en bouteilles sans provoquer d’altération significative de la couleur du vin, ce qui peut être considéré comme une approche prometteuse, même pour les viticulteurs en agriculture biologique.
Première approche : élimination de la quercétine au moyen d’agents de collage
Divers agents de collage ciblent les composés phénoliques, mais il n’existe pas de méthode spécifique pour l’élimination de la quercétine. La PVPP, couramment utilisée en vinification, a un impact minimal sur les arômes et les polyphénols1. Dans le vin, la PVPP n’a pas eu d’effet significatif sur les glycosides de quercétine (Figure 1A), mais elle a montré une interaction dose-dépendante avec la forme aglycone de la quercétine (Figure 1B). Les autres agents ont eu des effets limités, à l’exception du polymère PVI/PVP à une dose plus élevée. Bien que la PVPP soit considérée comme une option viable, 60 g/hL pourraient être insuffisants pour l’élimination de la forme aglycone. Dans une autre expérimentation où chacun des deux principaux glycosides de la quercétine a été contrôlé séparément (Figure 2), la quercétine-3-glucoside s’est naturellement dégradée en aglycone lors de la fermentation ; pendant ce temps, la quercétine-3-glucuronide n’a pas été modifiée, et constitue donc une source potentielle de la forme aglycone de la quercétine après le traitement à la PVPP. La PVPP peut nuire à la qualité du vin, en impactant la couleur et les composés spécifiques2. Les règlements de l’UE limitant l’utilisation de la PVPP dans le vin biologique soulignent le besoin de traitements alternatifs sur le marché du vin biologique.
Deuxième approche : enzyme pectolytique à activité glycosidase secondaire
Pour résoudre le problème de précipitation de la quercétine, il est nécessaire d’éliminer à la fois l’aglycone et son précurseur. Nous avons d’abord testé une enzyme pectolytique en utilisant les doses recommandées (4 g/hL) et plus élevées (40 g/hL). Les deux traitements ont rapidement réduit les teneurs en glycosides de quercétine et augmenté celles de l’aglycone en quelques jours. La quantification de la quercétine a montré une dégradation des glycosides en fonction de la concentration de l’enzyme (Tableau 1). Les enzymes glycosidiques ont un impact sur les composés, la couleur et l’arôme du vin, et peuvent entraîner des fermentations languissantes et une désactivation rapide des tanins3. L’ajout de glucosidase au début du processus de vieillissement pourrait être un moyen de résoudre ces problèmes. D’autres expérimentations ont permis d’évaluer l’applicabilité réelle de l’approche enzymatique au chai.
Afin d’évaluer l’efficacité de la glycosidase dans la réduction de la teneur en quercétine dans le jeune vin Chianti, nous avons suivi l’évolution des glycosides et des aglycones de quercétine pendant le vieillissement en barrique. Nous avons confirmé l’existence d’une dégradation naturelle des glycosides dans les vins témoins non traités (TQ), avec une diminution d’un tiers des glycosides totaux de quercétine en quatre mois. Le traitement à la bentonite n’a pas eu d’effet significatif sur les glycosides de quercétine, ce qui indique l’absence de glycosidases endogènes, ainsi que la présence d’une dégradation chimique lente. Le traitement enzymatique (ENZ) a entraîné une augmentation constante des aglycones pendant 100 jours, les niveaux de glycosides de quercétine tombant en dessous de ceux du vin témoin. Alors que les glycosides ont continué à diminuer, les niveaux d’aglycones ont atteint un plateau avant la fin de l’élevage en barrique, indiquant un point de saturation probable précédant la précipitation. Des schémas similaires ont été observés dans les vins de deux propriétés indépendantes (Figure 3). Le traitement enzymatique suscite des inquiétudes quant à son impact sur d’autres composés glycosylés, tels que les anthocyanes, ce qui pourrait avoir une incidence sur la stabilité de la couleur. Un an après l’ajout de l’enzyme, une analyse de la couleur a montré une légère diminution de l’intensité de la couleur rouge (réduction de 8 %) ; dans l’ensemble, l’impact sur la couleur a été mineur.
Conclusion
En résumé, si la PVPP s’est avérée supérieure à d’autres agents de collage pour l’élimination des aglycones de quercétine, elle ne résout pas le problème de précipitation. Le traitement enzymatique que nous proposons entraîne une diminution rapide des glycosides de quercétine, ce qui améliore la stabilité du vin. En appliquant ce traitement dès le début du processus de vieillissement, on obtient une précipitation naturelle des aglycones avant la mise en bouteilles, comme l’ont validé les expérimentations menées dans deux propriétés. Ayant un impact minimal sur les anthocyanes, l’approche enzymatique se révèle être un moyen prometteur de prévenir la précipitation de la quercétine sans compromettre la couleur du vin. Afin de mieux étudier les effets de l’ajout d’enzymes sur la composition du vin, des analyses supplémentaires sur les composés phénoliques non volatils et les composés aromatiques seront nécessaires.
Références
1 Lisanti, M.T., Gambuti, A., Genovese, A., Piombino, P., & Moio, L. (2017). Treatment by fining agents of red wine affected by phenolic off-odour. European Food Research and Technology, 243(3) 501–510, https://doi.org/10.1007/S00217-016-2763-4
2 Gil, M., Louazil, P., Iturmendi, N., Moine, V., Cheynier, V., & Saucier, C. (2019). Effect of polyvinylpolypyrrolidone treatment on rosés wines during fermentation: Impact on color, polyphenols and thiol aromas. Food Chem 295 493–498, https://doi.org/10.1016/J.FOODCHEM.2019.05.125
3 Claus, H., & Mojsov, K. (2018). Enzymes for Wine Fermentation: Current and Perspective Applications. Fermentation 2018, Vol 4, Page 52 4(3) 52, https://doi.org/10.3390/FERMENTATION4030052
* La Revue Française d’Œnologie a noué un partenariat avec IVES : l’International Viticulture and Enology Society. IVES publie le journal technique : IVES Technical Reviews (disponible en 6 langues), ainsi que le journal scientifique Œno One IVES et IVES Conference Series, un portail dédié aux communications issues des congrès scientifiques de la filière vitivinicole.