Dans le Pénédès, on ne se souvient plus d’un millésime « normal » dont la pluviométrie moyenne était autour de 450 mm. En 2021 il est tombé 350mm d’eau, en 2022, 250 mm et en 2023, 180 mm. Au-delà de la perte de rendement, c’est la pérennité du vignoble qui est en question. Le Domaine Gramona a encaissé 10 % de mortalité cette année et même dans de vieilles vignes. La situation est gravement préoccupante, la gestion de l’eau est au centre de toutes les attentions.
L’essentiel, faire un diagnostic de consommation d’eau
Jaume Gramona peut dire que son domaine consomme environ 4 litres d’eau pour produire 1 litre de vin, depuis la vigne jusqu’à la bouteille conditionnée. C’est le résultat d’une étude précise qui a nécessité de sectorialiser toutes les actions pour évaluer la consommation au plus juste afin d’organiser des pratiques différentes à bon escient. Jaume Gramona insiste sur le fait qu’il faut améliorer les indicateurs de consommation pour être plus performant, son domaine est le premier à avoir obtenu la certification pour la durabilité EMAS1.
La ressource en eau par stockage
L’irrigation étant impossible dans ces reliefs, il faut trouver d’autres solutions, au moins pour pouvoir arroser les jeunes vignes. Le domaine a construit un bassin de 6 millions de litres, couvert de panneaux photovoltaïques pour limiter l’évapotranspiration et produire de l’énergie utilisée en cave (jusqu’à 100 KWh/ an). Le réservoir est rempli par ruissellement, par récupération d’eau des toitures et complété par « l’eau propre » (traitement des eaux usées et résiduelles, système par biofiltration EDAR). Le bassin plein peut arroser 6 à 7 ha maximum. Par ailleurs, une réflexion régionale de désalinisation de l’eau est en cours pour maintenir l’agriculture.

Adapter la vigne au climat
Deux problèmes se conjuguent avec le dérèglement climatique : la sécheresse et la chaleur. Pour supporter le réchauffement, certaines vignes sont arrachées pour une implantation plus en altitude, c’est le cas d’un pinot qui, malgré ses 40 ans sur place a dépéri. Traditionnellement, le cépage parellada était planté à plus de 500 mètres d’altitude.
Quand c’est possible, la vigne est surgreffée. Seuls les cépages supportant la chaleur sont sélectionnés : xarello, macabeo, sumoll, grenache, mourvèdre…
Toute la taille est passée au gobelet qui protège le fruit comme un parasol. Un choix qui exclut la mécanisation. Il y a 70 ha mécanisables chez Gramona dont 21 ha confiés à la traction animale (avec 4 chevaux de trait et 2 ouvriers). Certaines parcelles sont installées dans l’hypothèse du seul travail manuel.
Par ailleurs la taille respecte le flux de sève, une technique mise en évidence il y a une dizaine d’années et promue depuis par la famille Gramona avec des formations professionnelles2. La vigne en meilleure santé résiste mieux à la sécheresse comme aux maladies.
Le porte-greffe est choisi pour sa résistance au calcaire et à la sécheresse (R110 et 140 Ruggeri). Le plus souvent, la vigne est greffée sur place, ce qui nécessite de former des gens au greffage. Une technique pourtant abandonnée depuis longtemps, « on laisse le temps de prendre racine en profondeur, la terre étant un bon isolant, le plant souffre moins de la chaleur ».
La densité de plantation est réduite à environ 2 000 pieds/ha.
Les nouvelles plantations 2023 sont installées selon le concept de « Key line3 », une ligne de plantation dessinée en fonction des courbes du niveau et des capacités du sol à retenir l’eau. L’organisation laisse la place à des bosquets et autres ilots végétaux au sein de la vigne.
Le couvert végétal hivernal est remis en question après ces trois dernières années d’hiver sec. « On enrichit avec le pâturage des animaux ou des engrais verts mais l’an dernier le rendement a chuté de 60 %. La solution est de minimiser les pertes en eau. »
Des compétences techniques et scientifiques sont indispensables pour étudier chaque parcelle et trouver une préconisation adaptée mais aussi pour mettre en œuvre les travaux viticoles.
A la cave, une économie durable
La gestion de l’eau à la cave est intimement liée à celle de l’énergie. Avant les vendanges, les équipes suivent plusieurs jours de formation pour respecter les consignes d’économie d’eau.
En 40 ans, le début de vendange est passé du 6 septembre au 27 juillet. Il fait plus chaud, le besoin d’énergie pour réfrigérer le raisin et les cuves augmente. « Les vendanges duraient sept semaines et maintenant 80 % de la production est rentrée en trois semaines ». Avec tout ce qui en découle dans l’organisation : plus de personnel, plus d’énergie, plus de place et plus de concentration du travail.
Des cuves sont remplies d’eau du réseau avant les vendanges (2 000 hl) en prévision des périodes de restriction.
Le domaine a investi dans une nouvelle station d’épuration des effluents de cave (traitement biologique aérobie) pour gérer plus de volume en moins de temps.
En œnologie, plusieurs pistes physiques sont explorées pour économiser l’eau et l’énergie comme l’utilisation des moûts des vendanges suivantes pour diminuer le taux de sucres de la liqueur de tirage ou la fermentation alcoolique à des températures un peu plus élevées qu’auparavant (18°C au lieu de 16°C).
Le domaine, conduit en biodynamie4, exclut l’usage de levures exogènes ou de la désalcoolisation.
Jaume Gramona insiste sur le fait qu’il faut améliorer les indicateurs de consommation pour être plus performant. Le domaine est certifié WFCP5 depuis 2018, ISO 14001 et ISO 9001 depuis 2002.
- EMAS : « Eco management and audit sheme” », système de management environnemental accessible à toute organisation qui entend assumer sa responsabilité environnementale et économique, améliorer sa performance environnementale et déclarer publiquement ses résultats environnementaux annuels en donnant l’exemple de bonnes pratiques. Gramona a été la première cave espagnole à y parvenir. ↩︎
- La famille Gramona a créé une section de formation à la taille respectueuse du flux de sève au sein du cluster vitivinocle catalan, à l’Universitat Rovira i Virgili en Tarragona. ↩︎
- Key line : Brevet de Manel Badia « Pionnier dans l’application de la conception Keyline et de la gestion holistique dans la péninsule ibérique, ainsi que dans les techniques de régénération des sols et les solutions de conception innovantes ». ManelBadia ↩︎
- Jaume Gramona a créé « Alianzas por la tierra » (Alliances pour la terre), association de 15 viticulteurs en biodynamie, ouverte à tous, avec 520 ha cultivés en biodynamie, la plus grande surface en Espagne et en Europe. ↩︎
- WFCP : « Wineries for Climat protection », certification espagnole en réponse au dérèglement climatique qui soutient l’amélioration continue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la gestion correcte de l’eau, la réduction des déchets, l’efficacité énergétique et l’utilisation d’énergies renouvelables ↩︎