Notre viticulture du sud de la France a toujours su s’adapter aux évolutions sociétales et aux goûts des consommateurs. Historiquement, notre production était majoritairement axée sur les vins rouges, symboles de tradition et de savoir-faire. Cependant, ces dernières années, nous avons observé une mutation significative du marché, avec une croissance notable des vins rosés et effervescents. Ce phénomène témoigne d’un intérêt renouvelé des consommateurs pour des vins plus frais, légers et adaptés à un mode de vie contemporain.
Cette tendance s’inscrit dans un contexte où le profil du consommateur évolue. Les milléniaux, nouvelle génération de dégustateurs, privilégient des vins faciles à boire, souvent servis frais, et n’hésitent pas à explorer de nouvelles expériences gustatives, y compris les cocktails à base de vin. Ils se détournent progressivement des vins rouges « chambrés », autrefois incontournables sur les tables familiales. Cette évolution des préférences gustatives interpelle les producteurs et les œnologues, qui doivent repenser leurs pratiques pour rester en phase avec le marché.
Trop de rouges végétaux, surextraits ou creux et secs
Malgré cette dynamique, nous constatons que de nombreux vins rouges produits dans nos régions ne répondent plus aux attentes actuelles. Les défauts relevés sont souvent les mêmes : des vins issus de raisins insuffisamment mûrs, offrant des notes végétales désagréables ; des vins surextraits lors de la macération, résultant en des tanins trop présents et une astringence marquée ; ou encore des vins creux ou secs, manquant de rondeur et d’équilibre en bouche. Ces caractéristiques, autrefois tolérées ou même appréciées, ne correspondent plus aux critères de qualité recherchés par les consommateurs d’aujourd’hui.
La nécessaire adaptation des conseils des œnologues
L’œnologie a pourtant su évoluer, intégrant de nouvelles techniques et connaissances pour améliorer la qualité des vins. Cependant, certaines pratiques restent figées, ancrées dans une tradition qui peine à s’adapter aux changements du marché. Il est essentiel que l’œnologue joue pleinement son rôle d’expert et de conseiller, en étant à l’écoute des tendances et en accompagnant les producteurs vers des méthodes plus modernes et adaptées. Cela implique une remise en question des procédés traditionnels, sans pour autant renier notre héritage viticole.
Exemples de vins légers et frais
Conscients de ces enjeux, nous avons décidé au sein de notre maison de nous inspirer du passé pour proposer un vin résolument moderne. Le « vin de café » d’antan, autrefois consommé au comptoir des bistrots, présente toutes les caractéristiques recherchées aujourd’hui : légèreté, facilité de dégustation, et une appréciation optimale lorsqu’il est servi frais. Ce vin, simple et convivial, répond parfaitement aux attentes des nouveaux consommateurs en quête d’authenticité et de simplicité.
Pour élaborer ce type de vin, nous avons opté pour des techniques de vinification spécifiques. Nous privilégions des macérations très courtes, limitant l’extraction des tanins et conférant au vin une couleur claire et brillante. Nous utilisons également des presses de rosés, que nous faisons fermenter comme des rosés, en y ajoutant une fermentation malolactique pour apporter de la rondeur et adoucir l’acidité. Ces méthodes permettent d’obtenir un vin entre le rouge et le rosé, alliant fraîcheur et complexité aromatique.
L’année dernière, nous avons lancé notre cuvée « Rouge Clair », fruit de ce travail d’innovation. Ce vin vient compléter notre gamme, aux côtés du « Gris Blanc », un vin gris situé entre un rosé et un blanc. L’accueil de nos clients a été très encourageant. Ils ont salué l’originalité du « Rouge Clair », appréciant sa légèreté, sa fraîcheur et sa facilité à être dégusté en toute occasion. Ce succès confirme que le marché est en attente de nouveautés et prêt à accepter des propositions disruptives, bousculant les codes établis.
Cette expérience nous a confortés dans l’idée que l’innovation, même inspirée du passé, est essentielle pour répondre aux défis actuels de la viticulture. Il ne s’agit pas de renier nos traditions, mais de les adapter pour qu’elles continuent à vivre et à séduire les nouvelles générations. Tous les vins ne pourront et surtout ne doivent pas devenir des rouges légers, mais il est crucial pour chaque producteur de s’interroger sur la modernité du style de ses vins. Ne pas le faire, c’est risquer de voir nos caves se transformer en musées ou en œnothèques de flacons anciens, témoins d’une époque révolue.
L’avenir de notre métier dépend de notre capacité à nous adapter
L’œnologie moderne doit donc être au service de la production, en proposant des pratiques innovantes, respectueuses du terroir, mais en phase avec les attentes des consommateurs. Cela passe par une écoute attentive du marché, une remise en question des méthodes traditionnelles lorsque cela est nécessaire et une volonté de créer des vins qui allient qualité, authenticité et plaisir de dégustation.
En conclusion, la viticulture est à un tournant de son histoire. Les évolutions des goûts et des attentes des consommateurs nous invitent à repenser nos pratiques et à innover. C’est un défi stimulant, qui nous pousse à faire preuve de créativité tout en valorisant notre héritage. En proposant par exemple un vin comme le « Rouge Clair », nous montrons qu’il est possible de concilier tradition et modernité, et de continuer à faire vivre la passion du vin auprès des nouvelles générations. L’avenir de notre métier dépend de notre capacité à nous adapter, à écouter le marché et à offrir des vins qui sauront séduire par leur qualité et leur originalité.
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