La déconsommation fait partie des enjeux actuels pour la filière vitivinicole française. Le vin rouge est particulièrement frappé par les nouveaux modes de consommation de vin, mais aussi par la concurrence avec d’autres types de vin, voire même d’alcool.
S’il est effectivement possible de mesurer la baisse de la consommation de vin rouge dans le monde alors que les autres vins tranquilles (rosés, blancs) ont eu tendance à mieux performer, la déconsommation de vin rouge se concentre essentiellement sur les marchés européens, dont notamment la France.
En France, la baisse importante des ventes des volumes de rouge se constate notamment au niveau des panels distributeurs. N’ayant plus la préférence des plus jeunes, le vin rouge perd désormais des parts de marchés sur son cœur de marché, à savoir les 50 ans et plus.
1. Sous-performance et déconsommation mondiale des vins rouges depuis 2007
Dans son rapport sur l’évolution de la production et consommation de vin par couleur (2023), l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV) a permis de mettre en avant les différences de trajectoires en matière de consommation de vin tranquille depuis l’an 2000 dans le monde.
La consommation mondiale de vin rouge depuis le début des années 2000 a connu deux phases. Une première, entre 2000 et 2007, qui correspond à une augmentation des volumes consommés. Cette hausse importante est liée au développement de nouveaux marchés clients et à la progression de la culture du vin dans certains pays. Les États-Unis sont le principal moteur de cette croissance des volumes, grâce à une production dynamique et une culture du vin en fort développement. Le Royaume-Uni, historiquement consommateur de bière, voit également ses volumes progresser à mesure que la diversification dans la consommation d’alcool progresse parmi les consommateurs. D’autres marchés se développent comme la Chine, où la consommation de vin se démocratise grâce à une forte croissance économique, ainsi qu’en Russie.
Néanmoins, la crise de 2007-2008 a mis un coup d’arrêt à la croissance globale des volumes de vin rouge. Si l’essentiel des principaux marchés européens maintenaient une consommation relativement stable sur la période 2000-2007, ils tirent la consommation mondiale de vin rouge à la baisse entre 2008-2021. En effet, l’Espagne, l’Italie et la France voient leur consommation de vin rouge baisser de respectivement 19 %, 39 % et 29 % par rapport à la moyenne 2000-2007. L’impact de ces baisses est d’autant plus important que ces pays consomment principalement des vins rouges et pèsent lourd en matière de volumes totaux consommés.
Au-delà du simple impact de la crise économique de 2007-2008, plusieurs facteurs peuvent expliquer ce décrochage important des pays européens. Tout d’abord, la concurrence d’autres alcools sur des marchés initialement dominés par le vin, avec par exemple le fort développement de la bière en Espagne et en France. Aussi, avec le succès grandissant des vins servis frais, dont la consommation se développe fortement, comme pour les vins rosés, mais aussi grâce à la démocratisation de l’accès aux vins effervescents. Enfin, un vieillissement des consommateurs de vin, avec des difficultés à renouveler les générations de consommateurs. Cet aspect est amplifié par la déstructuration des repas chez les générations les plus jeunes, phénomène défavorable à la consommation de vin et plus particulièrement de vin rouge.
2. Le vin rouge en France : le grand perdant de la baisse de la consommation de vins tranquilles
2.1 Les vins rouges : entre baisse des ventes et concurrence des rosés et blancs
La baisse de la consommation de vin rouge en France est beaucoup plus marquée que celle des vins blancs ou rosés. D’après les données de sorties de caisse Circana – Hyper/Supermarchés, E-commerce et magasins de proximité – les ventes de vin tranquille ont baissé de 16 % en volume contre 3 % en valeur entre 2018 et 2023. Mais ce sont bien les ventes de vin rouge qui tirent les chiffres à la baisse. En volume, les vins rouges chutent de 26 % entre 2018 et 2023, contre 10 % pour les vins blancs et seulement 1 % pour les vins rosés. La baisse des ventes est d’autant plus flagrante qu’en valeur, les vins rouges sont la seule catégorie à connaître une baisse de chiffre d’affaires sur cette période (- 9 %), tandis que les rosés et vins blancs sont en forte croissance (respectivement + 13 % et + 5 %).
Les principales régions productrices de vins rouges sont touchées dans des proportions comparables par la baisse des ventes. En effet, les vins rouges de Bordeaux AOP voient leurs ventes baisser (- 18 %), tout comme les vins AOP rouge de la Vallée du Rhône (- 14 %). Les volumes d’AOP rouge de Bourgogne sont en très fort repli en volume (- 32 %), impactés aussi par les arbitrages des consommateurs en faveur de vins plus abordables. A l’inverse, les régions qui vendent principalement du vin blanc semblent moins souffrir de la baisse des volumes sur le marché français : les ventes d’Alsace AOP blanc ne baissent que de 3 % sur la même période.
2.2 Un nombre de foyers acheteurs de vins tranquilles en baisse, des rouges à la peine dans toutes les tranches d’âge de consommateurs
Il semble que globalement le taux de pénétration de vin tranquille par foyer tende à baisser. Les taux de pénétration dans les foyers français – au moins 1 bouteille de vin achetée dans l’année – est passée de 88 % à 80 % entre 2009 et 2023. Cette forte chute a été de plus accentuée par l’inflation à partir de 2022, où le taux de pénétration accuse un décrochage important.
En plus du fait que le vin tranquille peine à maintenir des volumes et sa présence au sein des foyers français, le vin rouge est de plus en plus concurrencé par les autres vins tranquilles. En effet, d’après le rapport du panel consommateur Kantar 2024, les trois vins tranquilles (rouge, rosé, blanc) sont consommés dans des proportions presque identiques par les moins de 35 ans. La nouvelle génération de consommateurs ne semble donc pas mettre le vin rouge sur un piédestal contrairement aux catégories les plus âgées, où le vin rouge est parfois même majoritaire dans les volumes consommés (notamment chez les 65+).
Encore plus marquant, le vin rouge perd des parts de marché même parmi les tranches d’âges qui le plébiscitaient jusqu’alors (50-64 ans, 65 ans et plus). Pour les 35 à 49 ans, les vins rouges perdent plus de 7 points de parts de marché au profit des rosés, qui représentent désormais 43 % des volumes achetés par cette tranche d’âge (contre 33 % pour les vins rouges). Le cœur de cible du vin rouge, les 50 ans et plus, subit aussi la concurrence du vin rosé et du vin blanc. C’est particulièrement le cas pour la tranche 50-64 ans, où le vin rouge a perdu près de 5 points de parts de marché au profit des deux autres catégories. Chez les 65 ans et plus, même si le vin rouge reste majoritaire (52 %), les rosés et blancs progressent.
Reconquérir des parts de marché, notamment auprès des plus jeunes, semble aujourd’hui crucial pour le vin rouge. L’innovation (vins légers et frais, désalcoolisation, packaging), ainsi qu’une meilleure compréhension du goût et des attentes des consommateurs pourront être une solution pour enrayer l’érosion des ventes de vin rouge en France.
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- La baisse de la consommation de vin rouge : tendances mondiales et particularités françaises, par Nans Brochart (FranceAgriMer)
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