Actuellement la désalcoolisation des vins biologiques n’est pas autorisée mais une évolution est en cours. L’Allemagne a demandé l’autorisation de l’évaporation sous vide pour réaliser des vins désalcoolisés biologiques. Une entrée en vigueur en 2025 peut être envisagée si les instances européennes valident.
Contexte – Les vins nolow : techniques, réglementation et défis
Qu’est-ce que la désalcoolisation ?
La désalcoolisation du vin consiste à retirer une partie ou la totalité de l’éthanol présent dans le vin. Ce processus est nécessaire pour répondre aux nouvelles demandes des consommateurs en faveur de produits à faible teneur en alcool ou totalement désalcoolisés. Cependant, le vin étant une boisson complexe, composée de nombreux éléments tels que l’alcool, l’eau, les arômes et les acides, la désalcoolisation nécessite des techniques sophistiquées pour maintenir le profil organoleptique du vin.
Selon la réglementation de l’Union Européenne (RUE 1308/2013), le vin doit répondre à certaines spécifications pour être considéré comme tel. Par exemple, le titre alcoométrique volumique (TAV) ne doit pas être inférieur à 8,5 % vol.
Les techniques de désalcoolisation
Le processus de désalcoolisation vise à séparer l’éthanol du reste des composants du vin tout en préservant autant que possible les arômes et la structure du vin. Les techniques utilisées varient selon l’objectif (désalcoolisation partielle ou totale) et le type de vin. Voici quelques-unes des principales méthodes employées :
1. Évaporation sous vide et distillation à basse température
L’évaporation sous vide permet de retirer l’alcool en abaissant la température d’évaporation de l’éthanol à environ 40°C. Cela permet de préserver les arômes volatils qui, autrement, seraient perdus à des températures plus élevées. L’alcool évaporé est récupéré sous forme liquide, et certaines solutions techniques permettent même de récupérer ces arômes pour les réintégrer dans le vin désalcoolisé.
2. Spinning Cone Column (SCC)
Cette technique utilise également l’évaporation sous vide, mais avec un dispositif à cônes tournants pour séparer les arômes avant de désalcooliser le vin. Cela permet de réincorporer les arômes dans le vin à la fin du processus, même lorsque l’alcool est presque totalement retiré (TAV proche de 0 %).
3. Osmose inverse et contacteurs membranaires
L’osmose inverse consiste à faire passer le vin à travers une membrane sous haute pression pour séparer l’eau, l’alcool et d’autres composés. L’alcool est ensuite éliminé dans une étape séparée, souvent par distillation. Cette méthode est particulièrement efficace pour des réductions modérées du taux d’alcool (de 1 à 4 %) tout en minimisant l’impact sur les arômes et la saveur du vin.
Réglementation et nouveaux cadres législatifs
Les techniques de désalcoolisation, pratiquées depuis longtemps, ont été officiellement reconnue par l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV) via la résolution OIV OENO 394A-2012. Cette résolution définit les méthodes autorisées de désalcoolisation : l’évaporation sous vide, les techniques membranaires et la distillation.
Ces techniques étaient jusqu’à présent autorisées sur vin pour réduire le degré alcoolique. Toutefois, pour que le produit conserve le statut de « vin », la réduction d’alcool ne doit pas dépasser 20 % du TAV initial et la teneur en alcool doit rester supérieure à 8,5 % vol. Le terme à employer dorénavant d’un point de vue juridique (ligne 10 du Rgt CE 2022/68) pour cette technique sur vin est « correction de la teneur en alcool des vins ».
Remarque : il n’existe actuellement aucune catégorie juridique pour des vins dont la réduction d’alcool serait supérieure à 20 % et qui resterait à un TAV supérieur à 8,5 % vol.
En 2021, une nouvelle réglementation a introduit de nouveaux produits qui ne sont pas du vin avec, les catégories de « vin désalcoolisé » (TAV inférieur à 0,5 %) et « vin partiellement désalcoolisé » (TAV compris entre 0,5 % et 8,5 %), officialisant ces produits comme faisant partie intégrante du secteur viticole, ouvrant également la possibilité de réaliser des vins partiellement désalcoolisés pour les IGP et les AOC, la désalcoolisation totale restant interdite pour ces produits.
Remarque : en France l’Inao s’est positionné sur une ouverture et la modification des cahiers des charges (en cours de réflexion) pour une introduction des vins partiellement désalcoolisés pour les IGP. L’Inao s’oppose par contre à leur introduction pour les AOC.
Désalcoolisation et vin Bio
La production de vins désalcoolisés en agriculture biologique fait l’objet de vifs débats. Actuellement, les techniques de désalcoolisation, bien que permises pour d’autres produits en agriculture biologique, comme la bière, sont interdites pour les vins biologiques qui possèdent une règlementation spécifique. La « correction de la teneur en alcool des vins » a été évaluée en 2012, et reste interdite pour les vins biologiques. Seule l’arrivée d’une nouvelle technique dans la réglementation générale permettrait une nouvelle évaluation en Bio (comme par exemple le mouillage). Sinon l’acceptation d’une technique en Bio doit passer par une validation de la Commission du Parlement et du Conseil européens via un acte délégué.
Pour le moment, le règlement européen RUE 2018/848, qui établit les principes des produits biologiques, ne permet pas non plus la production de vins biologiques totalement ou partiellement désalcoolisés car les techniques pour ces nouvelles catégories de produit n’ont pas été évaluées.
Une évolution règlementaire en cours
Cependant, une évolution est en cours. L’Allemagne a récemment demandé une modification du règlement pour autoriser la technique d’évaporation sous vide pour réaliser des vins totalement désalcoolisés biologiques. Cette proposition est soutenue par plusieurs acteurs du secteur viticole, qui estiment que cela pourrait ouvrir de nouveaux marchés pour le vin biologique, tout en respectant les attentes des consommateurs en matière de santé et de bien-être. Cette demande a été évaluée par le groupe d’expert technique EGTOP* de la Commission européenne qui a donné un avis favorable pour l’introduction de la technique pour la production de vins totalement désalcoolisés Bio. La Commission a donc rédigé une proposition d’acte délégué qu’elle a mise en consultation pour l’introduction de la technique dans le règlement Bio 848/2028 et qui doit être validée par le Conseil et le Parlement européens. Si l’avis de ces deux instances est positif, une entrée en vigueur en 2025 peut être envisagée.
Le sujet des vins partiellement désalcoolisés en Bio n’est pas concerné par ces évolutions car aucun État membre n’en a fait la demande et le groupe d’experts EGTOP a mis en avant la plus grande complexité du dossier pour une autorisation en agriculture biologique, surtout dans un contexte ou de nombreux moyens (mode de conduite, cépage…) et techniques existent et doivent être testés et éprouvés pour mieux définir ce que seront les vins désalcoolisés de demain.
Enjeux sensoriels et qualitatifs
La désalcoolisation, bien qu’efficace pour réduire la teneur en alcool, peut avoir un impact significatif sur le profil organoleptique du vin. Par exemple, une désalcoolisation totale entraîne la perte d’une grande partie des composés volatils responsables des arômes, rendant le vin beaucoup moins expressif. C’est pourquoi des techniques comme la spinning cone column ou l’évaporation sous vide, qui permettent de récupérer et réintroduire certains arômes, sont particulièrement prisées.
Néanmoins, même avec des techniques avancées, les études montrent que les consommateurs peuvent percevoir des différences sensorielles, en particulier lorsque la réduction du TAV dépasse 2 %. À partir de ce seuil, le vin commence à perdre ses caractéristiques gustatives, ce qui soulève des questions sur l’acceptabilité de ces produits sur le marché.
La caractérisation des vins partiellement ou totalement désalcoolisés est encore à construire ainsi que la réglementation qui les accompagne. Ce travail est en cours au sein de l’OIV car pour le moment seuls les intrants autorisés en vin sont autorisés pour ces nouvelles catégories. Se pose donc la question par exemple de l’ajout de glycérol ou d’arômes pour la reformulation des produits obtenues après désalcoolisation.
Défis microbiologiques et conservation
Un autre défi majeur de la désalcoolisation réside dans la conservation. L’alcool joue un rôle important en tant qu’agent de conservation, protégeant le vin contre les contaminations microbiennes. Lorsque la teneur en alcool diminue, le vin devient plus vulnérable à la prolifération des micro-organismes, ce qui rend nécessaire l’utilisation de conservateurs supplémentaires. Cependant, dans le cas des vins biologiques, l’utilisation de conservateurs est strictement réglementée, avec l’interdiction du sorbate de potassium et du DMDC (dicarbonate de diméthyle), rendant la désalcoolisation d’autant plus complexe.
Perspectives d’évolution coté Bio
Avec l’évolution des habitudes de consommation et la demande croissante pour des produits à faible teneur en alcool, les vins totalement désalcoolisés représentent une opportunité de diversification pour les producteurs. Cependant, les défis techniques, sensoriels et réglementaires restent nombreux.
La France, de son côté, reste prudente. Les positions sur la viticulture biologique sont décidées par le Comité national de l’agriculture biologique (CBAB) de l’Inao, qui propose de reconnaître l’opportunité de faire évoluer la réglementation afin de permettre la production biologique du « vin totalement désalcoolisé ». Mais en ce qui concerne l’adoption de nouvelles pratiques, elle souhaite pour le moment qu’elle reste limitée à l’introduction de nouvelles techniques telles que l’évaporation sous vide avec une limitation des intrants pouvant servir à la reformulation des produits (limiter les apports d’arômes ou d’eau aux seuls arômes ou à l’eau endogènes, issus de la désalcoolisation du vin considéré et interdire l’utilisation de solvants permettant le piégeage et la récupération des arômes dans la phase alcool).
Dans ce contexte, il sera crucial de mener davantage de recherches pour perfectionner les techniques de désalcoolisation, tout en garantissant la qualité et l’authenticité des produits. La collaboration entre les États membres de l’UE, les organismes de régulation et les producteurs sera essentielle pour façonner l’avenir des vins désalcoolisés.
* EGTOP : Expert Group for Technical Advice on Organic Production
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